«Ils n'ont pas le choix de signer»: comment recadrer l'expérience contractuelle des consommateurs
̶ M. Ernesto, vos clients lisent-ils leurs contrats avant de les signer?, ai-je demandé à mon banquier, qui venait de me présenter un contrat de 18 pages en petits caractères noirs et blancs.
̶ Jamais. Je n’ai jamais vu personne le faire, m’a-t-il avoué avec un sourire un peu gêné.
«Ils n'ont pas le choix de signer»
Personne ne le dit tout haut, mais nous le pensons et nous nous y résignons.
Les contrats d’adhésion et de consommation sont partout.
Compte bancaire
Produits de financement (études, maison, projets...)
Produits d'épargne enregistrés
Électricité et gaz
Auto
Assurances
Télévision
Cellulaire
Internet
Logiciels et applications
Difficile d'y échapper.
Ces contrats sont rarement sujets à discussion. IIs sont souvent longs, denses, difficiles à comprendre et dans l'immédiat, les lire est généralement inutile. Sur Internet, essayez donc de négocier avec un bouton « J’accepte », pour voir.
Les consommateurs signent des contrats qu'ils ne peuvent pas éviter s'ils veulent participer à la vie en société, et sur lesquels ils croient n'avoir aucun contrôle (généralement à juste titre). Une situation propice à ce que les psychologues appellent l'impuissance apprise.
Qu'est-ce que l'impuissance apprise?
C'est le sentiment de n'avoir aucun contrôle dans une situation perçue comme inéluctable.
Par exemple, en Inde, les éléphants sont attachés par une corde dès leur plus jeune âge. Ils tentent de s'enfuir, mais la corde résiste et ils finissent par se résigner à leur condition d'éléphant attaché. À l'âge adulte, ces éléphants ont largement la force nécessaire pour se libérer en arrachant la corde et même le poteau auxquels ils sont attachés. Toutefois, comme ils ont fait l'association entre leur liberté et le fait d'être détaché par un humain, il leur semble impossible de se libérer par eux-mêmes - si bien qu'ils n'essaient même pas. Ils ont développé un sentiment d'impuissance apprise (ou impuissance acquise).
Lorsque quelqu'un vit une telle situation, cela peut sembler absurde pour une personne qui aurait fait un apprentissage différent. Regardez l'expérience troublante qu'a fait cette enseignante avec sa classe.
Lisez-vous les conditions d'utilisation avant d'installer une application mobile?
Nous cliquons tous compulsivement sur le bouton "J'accepte". Cette renonciation presque inconsciente relève de l'impuissance apprise. Nous avons appris que cette étape est inévitable, et que nous ne pouvons rien y faire.
Parce que leur expérience contractuelle est décourageante, les consommateurs ont renoncé à la possibilité de comprendre leurs contrats.
Rien d'étonnant à ce que ces personnes se fient à tout sauf à leur contrat: représentants, publicités, recommandations d'autres consommateurs... ce sont là des sources bien plus agréables à consulter! Surtout lorsqu'on considère les chiffres suivants:
19% des québécois sont analphabètes, et
34% des québécois ont des difficultés telles que cela les empêche de fonctionner pleinement en société. Par exemple, lire un horaire d'autobus est une tâche ardue pour ces personnes.
Pour le reste, les consommateurs décrochent avant même de commencer à lire - même s'ils ont théoriquement la capacité de comprendre leurs contrats. Il faut dire que rien n'est fait pour les encourager.
Inverser la tendance
Les psychologues qui se sont intéressés au phénomène de l’impuissance apprise ont découvert qu’il est possible reprogrammer ce sentiment. Dans la célèbre série d'expériences de Seligman et Maier (qui ont inventé l'expression "learned helplessness"), des chiens qui s'étaient tristement résignés à subir des chocs électriques, ont pu retrouver leur autonomie et réapprendre à les éviter. Toutefois, quelqu'un devait d'abord leur montrer que c'était possible.
Depuis le milieu des années 1980, Seligman a choisi de consacrer sa carrière à développer des outils pour contrer les effets négatifs de l'impuissance apprise chez les humains. L'un de ces outils consiste à recadrer l'expérience vécue pour lui donner un sens nouveau.
Recadrer l'expérience contractuelle des consommateurs
Il est possible de redonner aux consommateurs le goût de lire leur contrat. Des contrats clairs et simples permettent de réduire les erreurs, les plaintes, et de renforcer l'image de marque des entreprises.
Cela suppose toutefois d'envoyer un signal fort. Certains l'ont bien compris:
Les entreprises et les organisations québécoises ont de plus en plus à cœur de simplifier l'expérience de leurs clients et utilisateurs. Nous constatons tous les jours que le Québec est en train de prendre un virage clair.
Bien souvent, les efforts mis en oeuvre pour simplifier et clarifier des contenus font une différence énorme. Mais un document clair et simple n'est pas la même chose qu'un document plus clair et plus simple que sa version précédente. Les consommateurs ne font pas de comparaison entre deux versions d'un même contrat!
Comment signaler la simplicité
Les consommateurs prennent des décisions critiques en quelques secondes.
Sur mobile, 53% des internautes abandonnent un site qui prend plus de 3 secondes à charger. Je crois que les consommateurs font la même chose avec leurs contrats: s'ils sentent que c'est compliqué, ils abandonnent après quelques secondes.
Autant dire que la clarté et la simplicité doivent être immédiatement perceptibles.
D'ailleurs, la Cour suprême a reconnu que les consommateurs sont pressés et distraits dans sa décision Richard c. Time:
[...] un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté, [...] ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact complet avec une publicité. Une importance considérable doit être attachée non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur.
Parmi les techniques que nous utilisons pour envoyer un signal fort de simplicité, dans un contrat, une lettre, ou même une facture, voici celles que nous recommandons le plus souvent à nos clients:
Soignez la présentation. Un contrat est d'abord et avant tout un objet du monde. Autant qu'une chaise ou qu'un four à micro-ondes. L'apparence de simplicité produit un sentiment de facilité d'utilisation et donne goût à la lecture.
Respectez la logique des consommateurs. Les consommateurs ne pensent pas comme des juristes - et ils n'ont aucune envie d'apprendre à le faire pour comprendre leurs contrats. On ne peut pas les blâmer!
Rendez l'information digeste. Cela passe par exemple par des mises en contexte, des titres clairs et évocateurs, un langage clair, simple et naturel, et un bon chunking de l'information (le fait de diviser l'information en petits morceaux).
Pour en savoir plus
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