Écriture inclusive: les pronoms neutres ont-ils leur place?
En matière de genre, la grammaire française nous enseigne deux choses:
Le masculin l’emporte sur le féminin, pour ce qui concerne l’accord de genre et ce, peu importe le nombre. Par exemple: “Mille sœurs et un chat étaient heureux de revenir enfin sur la terre ferme”. Cette règle est remise en question par certains, qui privilégient notamment l’accord de proximité.
La forme masculine (ou le “masculin générique”) inclut le féminin, Par exemple: “Le rire est le propre de l’homme” (ce qui inclut les femmes, personne n’en doute). Cette règle est claire et sans ambiguïté, mais elle est loin d’être neutre.
Une règle de grammaire loin d’être neutre
Jusqu'à récemment, nous ne savions pas (scientifiquement) si l'utilisation d'un générique masculin en français avait un impact sur les lecteurs. Toutefois, des études récentes ont montré que cette règle de grammaire est loin d’être neutre.
L’écriture inclusive est donc importante lorsqu’on rédige pour le public en général. Elle est primordiale si on prétend afficher des offres d'emploi réellement inclusives. (Pour l'étude la plus robuste sur ce sujet, voir M. Brauer, Un ministre pourrait-il tomber enceinte? L'impact du générique masculin sur les représentations mentales, Année psychologique, 2008).
Certains auteurs ont ainsi proposé une grammaire non sexiste de la langue française et des stratégies de féminisation (voir M. Lessard et S. Zaccourd, Grammaire non sexiste de la langue française – le masculine ne l’emporte plus!, M Éditeur/Éditions Syllepse, 2017).
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Quelle place pour les pronoms neutres du point de vue du genre ?
Faut-il aller jusqu’à inclure les personnes dont le genre est fluide, neutre ou indéfini? Cet usage prend de l’ampleur en anglais, avec l’emploi du « they » singulier. En Suède, le pronom hen a fait son apparition il y a 3 ans et fait aujourd’hui partie intégrante de la langue parlée et écrite.
La langue française offre bien un pronom neutre, du moins en théorie. « On » peut être utilisé pour désigner une entité non définie. Cependant, « on » a toutes sortes de connotations. Il désigne souvent le pluriel de manière informelle à l’oral. Et on utilise souvent le « on » précisément pour éviter de mentionner l'identité de la personne ou de l’entité à laquelle on réfère. Bref, on aime le « on » pour son caractère vague et imprécis. Mais « on » est exclusif plus qu'il n'est inclusif ou représentatif de l'identité de quelqu'un.
Certains membres de la communauté LGBTQIA+ ont donc tenté de créer de nouveaux pronoms qui seraient plus englobants en matière de sexe et de genre. Après quelques recherches, je vois deux catégories de pronoms apparaître.
La première est construite sur les pronoms genrés existants : « il » et « elle ». Par exemple: « iel ». Ces pronoms conviennent aux personnes dont le genre est fluide, c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas de genre fixe. Mais parce qu'ils sont construits sur des pronoms masculins et féminins, ces pronoms se trouvent sur un axe genré, l’axe masculin-féminin. Par conséquent, ils ne conviennent pas aux personnes sans genre, qui se définissent comme étant en dehors de l’axe masculin-féminin.
Une deuxième catégorie de pronoms neutres émerge ainsi, comme « ol » ou « ul ».
Cela dit, l’exercice ne s’arrête pas là. Pour fonctionner, les pronoms neutres du point de vue du genre requièrent une grammaire entièrement nouvelle.
Comment la grammaire neutre fonctionnerait-elle en pratique?
La réponse courte? Elle ne fonctionnerait pas.
Puisque tout nom est soit masculin, soit féminin en français, la grammaire neutre exige de transformer entièrement la langue. Une phrase très simple comme "je reviens de la maison de mon oncle où j’ai nourri son chat" ressemblerait à quelque chose comme "je reviens del maisonimmeuble de maon tancle où j’ai nourri saon chat∙te".
Pouvez-vous imaginer ce qu’une telle grammaire engendrerait pour la rédaction contractuelle ou législative?
En pratique, très peu de rédacteurs utilisent des pronoms neutres. Les seules exceptions sont les journalistes qui écrivent spécifiquement sur ce sujet, et certains étudiants dans certains cercles activistes.
Leçons apprises de l’écriture inclusive
Nous pouvons apprendre des techniques issues de l’écriture inclusive, qui consiste principalement à féminiser la rédaction. Ces techniques incluent notamment :
Les doublets (par exemple : chères étudiantes, chers étudiants…)
Des noms plus neutres (par exemple : personne ou humain au lieu de homme)
La version féminine d'un nom (ex : auteure au lieu de auteur, voire autrice lorsqu’on souhaite rendre le féminin plus évident)
Une forme tronquée signalant l’inclusivité (par exemple : les étudiant∙e∙s, qui se lit les étudiants et étudiantes)
Le débat sur l'écriture Inclusive est réglé dans de nombreux pays. Mais pas dans la francophonie.
En France, l’Académie française s'y oppose avec conviction (il faut dire que ses membres n'ont compté que 9 femmes depuis 1635). En 2017, le premier ministre Édouard Philippe a demandé à l'administration publique de ne pas utiliser l'écriture inclusive.
La France a toutefois fait quelques progrès, car M. Philippe a également demandé que les titres de postes soient féminisés. On peut donc désormais écrire Madame la Directrice au lieu de Madame le Directeur sans crainte de commettre un impardonnable impair.
La Belgique et le Québec féminisent les titres de postes depuis des décennies. Les organismes publics ont même développé des guides de féminisation (voir les ressources de l’Office québécois de la langue française et le guide de la Fédération Wallonie Bruxelles).
Dans l'ensemble, ces ressources soutiennent qu'il est possible de féminiser un texte en utilisant des mots plus inclusifs. Ils mettent en garde, cependant, contre certains effets de l’écriture inclusive : les doublets et les formes tronquées peuvent nuire à la clarté et rendre la lecture plus difficile, en particulier pour les faibles lecteurs. Ces procédés sont donc à utiliser avec parcimonie.
Quoi retenir
Une bonne pratique consisterait, par exemple, à s'adresser à vos lecteurs en utilisant les formes féminines et masculines au début de votre texte, puis en utilisant la forme masculine seulement.
Comme organisation, vous devrez prendre une position claire si vous souhaitez que vos communications restent cohérentes. Pourquoi ne pas mettre en place une politique claire et simple sur l’écriture inclusive?
En matière législative ou contractuelle, ne perdez pas de vue les lois d’interprétation! Au Québec, le masculin l’emporte sur le féminin (Loi d’interprétation, art. 53) . Par contre, cette règle n’est pas immuable: au Manitoba, le masculin inclut le féminin… mais le féminin inclut aussi le masculin! (Loi d’interprétation, art. 28). La loi fédérale n’est quant à elle pas très claire, et je me garderais de l’interpréter ici.
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